Prof Mamadou Diouf sur la Commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais: « c’est bien une rupture avec les régimes précédents qui est amorcée »

Le professeur Mamadou DIOUF, Président du Comité pour la Commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais a lors de la célébration à Thiaroye hier indiqué que le régime du nouveau Président du Sénégal Bassirou Diomaye FAYE, sous la houlette du Comité pour la commémoration mis en place par le Premier Ministre Ousmane Sonko, amorcé une rupture avec les régimes précédents qui est amorcée sur le massacre de Thiaroye. Les régimes qui se sont succédé ont gardé un silence coupable et complice sur le « carnage » et « la tuerie » de Thiaroye a-t-il dit.

Faits prisonniers à la suite de la débâcle de l’armée française en juin 1940, rappelle le Professeur Diouf, « ils ont séjourné environ une année en Allemagne ; certains ont ensuite été transférés dans les « Fronts-Stalags » (des camps de travail) à l’intérieur de la France occupée. Ils y sont contraints d’effectuer des tâches qui contribuent à l’effort de guerre allemand ». A leur libération, ajoute-t-il, « certains poursuivent la guerre avec les soldats de la France libre, d’autres sont incorporés dans les unités de travail militaire. La revendication des tirailleurs portait sur plusieurs questions dont les plus significatives sont, les indemnités, les soldes, les primes de démobilisation et autres allocations, mais aussi les conditions du cantonnement à Thiaroye et de retour aux pays d’origine. La réponse des autorités coloniales ne s’est pas fait attendre. La violence systématique de la gouvernance coloniale reprenait ses droits.  Le paradoxe est que la célébration de la « libération », l’emblème distinctif de la France à la fin de la guerre, signe le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Nul compte n’est tenu de leur contribution à la libération de la France ; encore moins des valeurs et engagements citoyens, et démocratiques encouragés par la guerre. En témoignent « les mutineries » et « révoltes » qui ont secoué les troupes coloniales.

C’est le 1er décembre 1944 que s’est déroulée la tragédie. Selon le prof Diouf, « c’est à 5h30 du matin ce jour que 1 200 hommes des troupes coloniales françaises et de la gendarmerie prennent position autour du camp militaire de Thiaroye. Les soldats, armés et prêts, sont soutenus par trois véhicules blindés et deux chars.  Dans l’enceinte de la caserne, 1 200 à 1 800 tirailleurs sénégalais ont répondu présent. Il a précisé par ailleurs que « la qualification territoriale, « sénégalais » gomme la diversité de leur provenance territoriale. Ils ont été recrutés, souvent de force, dans les possessions françaises d’Afrique (AOF, AEF et Cameroun et au-delà). Ils ont été les victimes des traitements racistes associés au système colonial. Ils ont participé à la guerre sur tous les fronts, en premier lieu, le front européen ».

Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour dissimuler « le carnage et la tuerie » , assure-t-il. Les qualifications sont de Lamine Gueye. Elles modifient les registres, de départ de Morlaix et d’arrivée à Dakar, le nombre de soldats présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs …

« Un premier bilan fait état de trente-cinq (35) morts dans une « mutinerie ». Le bilan officiel français dénombre 70 tirailleurs sénégalais décédés. Les estimations les plus crédibles avancent les chiffres de trois cents (300) à quatre cents (400) victimes.  Cette volonté délibérée de dissimulation dénoncée par les historiens, se manifeste très tôt. Les circonstances, l’intensité des opérations répressives, le nombre de morts demeurent incertains ; certaines archives administratives et militaires sont inaccessibles, falsifiées, disparues ou incohérentes. Lever le voile sur le massacre contre les manœuvres de dissimulation de la vérité est, aujourd’hui, un impératif catégorique. Nous en appelons à une collaboration franche et entière de la France ».

Le gouvernement du Sénégal a décidé de revenir sur cet évènement avec la commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais, à Thiaroye, le 1er décembre 1944. Pour le Professeur Diouf, « c’est bien une rupture avec les régimes précédents qui est amorcée sur le massacre de Thiaroye. Les régimes qui se sont succédé ont gardé un silence coupable et complice sur le « carnage » et « la tuerie » de Thiaroye. Je reprends ici encore les qualifications de Lamine Gueye ».

En conséquence, a-t-il dit il est indispensable de briser le silence et d’afficher, fortement, « notre regard, nos commentaires et imaginations créatrices sur l’évènement. Thiaroye est pour nous, sénégalais l’occasion, aussi dramatique que majestueuse, d’accorder aux victimes du massacre le statut de « morts pour l’Afrique » et pour l’esprit panafricain ». Une vaste entreprise ; a conclu le Professeur Diouf, « une entreprise difficile mais combien passionnante dont l’animation nécessitera des opérations permanentes, susceptibles de participer au travail historique et mémoriel pour produire des récits, des leçons civiques, culturelles et artistiques au service des communautés panafricaines. Une histoire partagée qui nourrit une pédagogie pour édifier les fondations de l’intégration africaine ».

Marck DIOUF