Le Sénégal, engagé dans un ambitieux programme de renouvellement de son parc de camions, voit ce projet compromis par une gestion bancale et des pratiques douteuses. Ce programme, initié en collaboration avec l’État, prévoyait la mise en circulation de 3 200 véhicules, avec un projet pilote portant sur 800 camions d’une valeur estimée à 52 milliards de francs CFA. Entre 2015 et 2019, seulement 145 véhicules ont été approvisionnés, et les relations jusque-là cordiales avec les institutions partenaires ont peu à peu laissé place à des dysfonctionnements.
Thierno Diouf, Secrétaire général des transporteurs de marchandises de la Coopérative nationale des entreprises de transport et Vice-président de la Fédération nationale des transports du Sénégal, a l suite du Président Mbargou Badiane de la coopérative nationale des entreprises de transport de marchandises du Sénégal (CNETM) a dénoncé l’ingérence de la Banque Nationale pour le Développement Économique (BNDE) qui, après avoir individualisé les conventions initialement destinées à la coopérative, a détourné les fonds vers des projets parallèles, semant le doute parmi les transporteurs. « Les conditionnalités imposées, telles que la délégation d’assurance tout risque, sont devenues un fardeau financier. Nos assurances, inefficaces lors de nos trajets vers le Mali, ajoutent une complexité supplémentaire au remboursement des prêts », souligne-t-il.
Des promesses non tenues
Le projet, qui prévoyait la mise en place d’une usine de montage avec la création de 6 000 emplois, n’a pas vu le jour, en dépit des engagements pris. La désillusion est palpable parmi les transporteurs, qui avaient espéré une véritable modernisation de leur flotte ainsi qu’une meilleure compétitivité sur le marché régional.
Diouf pointe également du doigt la décision de la BNDE de saisir des camions en défaut de paiement et de les réattribuer à d’autres exploitants, sans aucune transparence. « En 2019, treize de nos camions ont été saisis, alors qu’ils n’accusaient que quelques mois de retard de paiement. Cette manœuvre a fragilisé notre secteur et plongé de nombreux transporteurs dans une situation de précarité », déplore-t-il.
Un recours à la justice bloqué
Face à ces injustices, la coopérative a saisi la justice, espérant que les mesures conservatoires permettraient de récupérer les camions saisis. Cependant, les procédures semblent avoir été contournées, et malgré un jugement en faveur des transporteurs, les camions continuent d’être retenus. Diouf pointe du doigt un dysfonctionnement systémique où le procureur, sur la base de rapports fallacieux, a ordonné à la gendarmerie de retenir les véhicules aux frontières.
« Cela fait plus d’un mois et demi que la situation est bloquée, malgré les preuves que nous avons fournies. Nous réclamons aujourd’hui un audit exhaustif du projet et une restitution des droits des transporteurs », martèle Diouf.
Un avenir incertain pour le secteur des transports
Le projet, initialement conçu pour dynamiser le secteur du transport de marchandises, est aujourd’hui à la dérive, fragilisant non seulement les transporteurs, mais également l’ensemble de l’économie nationale. Avec des enjeux qui dépassent les frontières sénégalaises, le transport interrégional souffre d’un manque de soutien institutionnel et d’une mauvaise gestion des projets de grande envergure.
Thierno Diouf appelle l’État à intervenir de toute urgence pour auditer ce projet et restaurer la confiance des transporteurs. Il demande également une clarification du rôle de l’État dans cette affaire, soulignant que le projet initial était une convention entre deux entités privées, régie par le droit civil et commercial.
Cette crise met en lumière les défis complexes auxquels fait face le secteur du transport au Sénégal, dans un contexte économique déjà fragilisé par la pandémie de COVID-19 et les tensions régionales. Elle soulève également des questions cruciales sur la transparence des mécanismes de financement public-privé et sur l’efficacité des systèmes de contrôle et de régulation dans le pays.
L’issue de cette affaire pourrait avoir des répercussions significatives non seulement sur le secteur du transport, mais aussi sur l’ensemble de l’économie sénégalaise, déjà mise à rude épreuve par les récentes crises mondiales.