Polémique sur le port du voile à l’école : Babacar Gaye en rajoute une couche

En recevant mardi 30 juillet 2024, les lauréats du Concours général, le Premier ministre, Ousmane Sonko, a mis en garde les établissements scolaires qui refusent le port du voile. Une sortie qui a eu le ton de courroucer la communauté catholique et des voix se sont fait entendre. Babacar Gaye, ex PDS et Leader de Mankoo Mucc qui à appeler à tenir ce débat de société sous un angle autrement politique. Voici sa contribution.

« D’un ton menaçant et mal à-propos, le Premier Ministre, comme à l’accoutumée, met en garde et s’arroge le droit de piétiner la Constitution et les lois et règlements du pays. Cette malencontreuse sortie rappelle la crise du voile qui a failli embraser le pays en 2019. A l’époque, des filles qui portaient un voile avaient été interdites d’accès à l’école. Une telle orientation n’est pas conforme aux principes de la liberté de conscience et de culte. Elle ne serait pas non plus respectueuse des droits garantis aux communautés religieuses pour assurer l’éducation des enfants que leurs parents ont librement décidé de leur confier pour leur éducation.

En effet, les dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 22 et celles de l’article 24 de la Constitution dégagent de la tutelle de l’Etat, les modes d’organisation et de fonctionnement desdites communautés.

Tordre le bras d’une communauté religieuse pour lui imposer des règles qu’elle n’a pas inscrites dans son règlement intérieur, serait un précédent dangereux et un abus de pouvoir si l’on se réfère aux dispositions constitutionnelles ci-après:

« Les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses sont également reconnues comme moyens d’éducation. » Alinéa 3, Article 22 « La liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome. » Article 24

C’est pourquoi, au-delà du désordre politique que suscite la déclaration de Ousmane Sonko, je voudrais relancer un débat de fond qui pourrait participer à la consolidation de l’Etat de droit.

D’abord, à propos de la réglementation de la pratique et de l’éducation religieuse, je reste perplexe et foncièrement convaincu que ce serait une initiative vouée à l’échec si l’on tient compte des pesanteurs socioculturelles et religieuses.

Ensuite, un État qui ne peut même pas assurer sa mission régalienne d’organiser l’enseignement public laïque dans des portions du territoire, pourrait-il restreindre les libertés et droits constitutionnels qui garantissent la gestion autonome de l’éducation dans des établissements privés d’obédience religieuse? Je pense à l’institut Jeanne d’Arc, Immaculée Conception, Daraa Cheikh Al Islam Niasse, Daara Mame Diarra Bousso etc…

En plus des pesanteurs d’ordre sociologique et des menaces graves sur les équilibres de notre Nation, à l’état actuel de notre droit positif, rien ne permet à Ousmane Sonko de réglementer une matière qui échappe au pouvoir de l’administration.

Car, au-delà de son adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le constituant sénégalais est allé plus loin pour fixer des règles inédites en matière d’éducation et de communautés religieuses.

En effet, dans le Titre II de la Constitution du 7 janvier 2001, le constituant sénégalais consacre 19 articles aux libertés publiques et à la personne humaine, aux droits économiques et sociaux et aux droits collectifs (art. 7 à art. 25)

C’est dans sa volonté de prendre en charge la particularité de la société sénégalaise que le constituant a insisté sur de nouvelles notions dans les articles 22 et 24 de la Constitution de 2001. Ce sont:

Les institutions et les communautés religieuses ou non religieuses, les moyens d’éducation, les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur.

En outre, dans le même texte, il est mentionné que ces « institutions et communautés règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome » et sont totalement dégagées de la tutelle de l’Etat.

Sous ce rapport, le premier Ministre peut-il évoquer “un modèle de vie et de style” de la communauté musulmane, fût-elle majoritaire, et s’opposer à l’interdiction du port du voile dans certains établissements d’enseignement? Cela signifierait l’édiction de mesures « générales et absolues » dans le domaine des libertés fondamentales? Ce serait une dérive inacceptable dans une République et un Etat de droit.

D’ailleurs, pour éviter tout abus de l’autorité administrative, le règlement (décret, arrêté, circulaire interprétative…) est bien surveillé par le juge qui reste très attentif dans le cas des interdictions “générales et absolues”. Même si certaines d’entre elles ne sont pas forcément illégales, elles sont très fortement encadrées par la jurisprudence: voir la décision du Conseil d’Etat du 12 novembre 1997 à propos de l’Association Communauté tibétaine en France.

Qui plus est, il y a une jurisprudence constante qui voudrait que « Si l’autorité de police a le pouvoir d’édicter des interdictions, elle n’est pas compétente, sauf si cela est expressément prévu par la loi, d’imposer à une communauté des règles pour éduquer un enfant dans une école privée catholique ou un Daara. Cette liberté publique est constitutionnalisée depuis le 7 janvier 2001.

Voilà, chers amis, ma contribution à ce débat de société qui doit être abordé sous un angle autrement politique dans le sens partisan du terme. Et c’est toujours le Sénégal et l’Humanité qui y gagnent de par les équilibres qu’il peut sauvegarder.

Babacar Gaye